Les "experts-profanes" de l'audition BCG sous le microscope de la sociologie !
« Depuis
quelques années, l'expertise épidémiologique est mise en débat sur la scène
publique : citoyens, professionnels de terrain ou associations peuvent se
constituer « experts profanes » et trouver ainsi légitimité comme
acteurs de la décision. Prenant l'exemple de l'audition publique sur la
vaccination par le BCG organisée les 13 et 14 novembre 2006, cette
communication présente les résultats préliminaires d'une analyse
sociologique des discours et relations d'acteurs ayant participé à cette
manifestation.
L'objectif est d'identifier les types et les logiques d'acteurs (experts, professionnels de terrain, citoyens, mouvements associatifs, politiques…) qui sous-tendent la prise de décision en santé publique. Deux questions sont posées :
1) Qui sont les acteurs ayant participé à l'audition publique ?
2) Quelles
ont été les logiques de participation à la décision et leur influence sur la
construction de l'avis et la prise de décision ?
Sur base d'une analyse textuelle qualitative des débats et des interventions qui se sont tenus lors de l'audition publique et de la réunion du comité d'audition, chargé de formuler les recommandations finales, il s'agit :
- d'identifier le positionnement des acteurs ;
- de déterminer les thématiques débattues et la manière dont elles ont émergé.
Le mécanisme d'inclusion-exclusion est au cœur de l'analyse :
- Quelles sont les thématiques qui sont retenues ?
- Quelles sont celles qui sont évincées ?
- Quel est le rôle de chaque acteur dans le choix des thématiques ?
- Comment se construit le débat dans l'interaction entre ces
différents points de vue ?
Imaginons qu’un expert épidémiologiste ait calculé
que l’efficacité du BCG est de 95% et que si l’on abandonne la vaccination
généralisée il y aura d’énormes flambées de tuberculose. On imagine à peine les
réactions et les discours qui se développeraient partout s’il était envisagé
d’abandonner cette vaccination dans ces conditions. Puis, un citoyen lambda
découvre que l’expert a fait une erreur de calcul : c’est en faisant 2+2=6
qu’il a pu obtenir ce résultat flatteur. En se contentant de 2+2=4,
l'efficacité n’est plus que de 20%. Que va-t-il se produire quand il va tenter
de faire connaître sa constatation ? Politiques, parlementaires, juristes, sociologues,
médecins, vaccinateurs… auront bien des difficultés pour faire machine arrière
et revenir à des propos plus en rapport avec la réalité. Que la personne qui
aura découvert l’erreur soit une femme de ménage ou un mathématicien, c'est la
même chose. Nous avons tous le devoir de respecter cette loi que 2+2 ça fait 4
et pas 6. Ce n'est pas de la démocratie sanitaire et la personne qui en
ferait la remarque pourrait difficilement être considérée comme se promouvant
"expert". De même, si un expert devait utiliser le théorème de
Pythagore dans un triangle quelconque, quiconque devrait avoir le droit et le
devoir de lui rappeler que ce n'est pas valable. C’est exactement ce que j’ai
cherché à faire dans mes différents articles critiques sur l’expertise épidémiologique
à l’audition où je n'ai fait que rappeler un certain nombre de principes
fondamentaux que chacun devrait s’efforcer de respecter. Ils portaient
principalement sur les conditions
d’utilisation de la règle de trois et sur le traitement de données
statistiques. Ce ne sont pas des règles morales mais des réalités techniques
incontournables.
Par
contre, quand le représentant de la Ligue pour la liberté des vaccinations à
l’audition sur le BCG utilise les données allemandes pour démontrer que le BCG
n'y avait pas été efficace, il peut commettre des erreurs techniques sur
lesquelles il pourra lui aussi se faire contrer [*]. C’est d’ailleurs ce qui
s’est produit. Mais le même principe doit s'appliquer à l'expertise
épidémiologique si elle commet des erreurs techniques dans son analyse. Une
erreur reste une erreur, d’où qu’elle vienne.
*
On peut consulter le diaporama de son exposé sur le site de la Sfsp (aller à
Dossiers thématiques en page d’accueil) ou en lire la totalité ainsi que le
débat qui a suivi dans l’ouvrage déjà cité.
Il s'agit donc de 2 types
d'intervention totalement différents : intervenir par rapport à une erreur
flagrante, c’est à dire faire une critique de l’expertise, ou proposer sa
propre expertise dont les conclusions seraient opposées aux affirmations en
vigueur, ce qui réalise une contre-expertise. Dans le cas de la dénonciation
d’une erreur de type 2+2=6 par exemple, si un sociologue veut analyser de
manière valable les mobiles des personnes du public qui réagiraient par rapport
à cela, il sera contraint, d'une façon ou d'une autre, de reconnaître que
cette réaction a été provoquée par une erreur manifeste de l'expertise
épidémiologique. Sinon il passera à côté du problème, cela devrait
paraître évident.
Expert-profane ou profanateur d’experts ?
Et si l'irruption de
personnes du public sur ces questions épidémiologiques pouvait d'abord être
ressentie par certains comme une profanation ? Je joue un peu avec le terme de
profane utilisé par notre sociologue mais c’est loin d‘être faux :
l'expertise vaccinale, et tout particulièrement sur le BCG, est pratiquement
sacralisée et une critique, même technique et incontestable, sera alors ressentie comme un acte de
profanation. Dans l’évolution nécessaire des mentalités, c’est à dire surtout
ici des émotions (comme souvent d’ailleurs), la profanation est le prélude
indispensable vers la désacralisation de l’expertise. La profanation n’existe
que pour celui qui sacralise et il est sans doute impossible à un être humain
de passer d’une perception sacralisée à une perception plus objective sans
passer par le choc du ressenti d’une profanation. Sacralisation,
désacralisation, plutôt que légitimation/dé-légitimation ? Une idée proche de
celle proposée par l’étude sociologique
qui sera présentée au colloque, mais avec une nuance.
Le
titre de l’un de mes articles, "Descendue
du Sinaï, l'expertise était dans la lune," voulait justement exprimer
cette sacralisation de l’expertise qui est une réalité psychologique et
sociologique encore actuelle et héritée d’attitudes ancestrales mais dont il
faut maintenant se libérer pour aller plus loin. Il en coûtera bien sûr. Le
prix sera d’autant plus élevé pour les tenants du maintien de la sacralisation
qu’ils feront de la résistance. C’est d’ailleurs une loi générale : la
souffrance résulte de la résistance que nous opposons à notre évolution. Si mon
titre vous a choqué c'est sans doute que vous considérez encore cette expertise
comme sacrée. Prenez-le comme une expérience !
Cette
sacralisation de l’expertise vaccinale s’est d’ailleurs récemment manifesté sur
le site AgoraVox (aller sur vaccins)
quand le journaliste d’investigation Jean-Luc Martin-Lagardette a décidé d’y
lancer une grande enquête sur les obligations vaccinales. Certains internautes
se sont très vertement opposés, parfois avec une violence verbale inouïe, au principe même d’une telle enquête au
motif que les vaccins c’est de l’immunologie et que si l’on n’est pas soi-même
immunologiste on ne saurait être compétent. Donc, le peuple n’a rien à dire sur
un tel sujet qu’il doit abandonner aux experts entre les bras desquels il doit
s’abandonner en toute confiance…Le peuple, quel que soit son niveau culturel et
intellectuel, qu’il soit jardinier ou professeur d’université, femme de chambre
ou chercheur scientifique. Du moment qu’il n’est pas immunologiste il n’a qu’à
se taire et accepter. Je n’invente rien ! Cette attitude est en fait
l’héritage de la tribu ancestrale où le chef et le sorcier se partageaient le
pouvoir qu’ils exerçaient sur le peuple. Certaines forces poussent afin de
maintenir un tel état de fait et la ligne de front est bien sur la vaccination,
il n’y a aucun doute. Elles étaient d’ailleurs à l’œuvre à l’audition.
C’est pourquoi le thème de la vaccination et de son obligation est bien le lieu
où un grand progrès est possible.
Le
problème est que si l’objectif d’une vaccination est bien de déclencher des
réactions immunitaires chez le vacciné, l’évaluation d’un programme de
vaccination sur une population se fait par des comparaisons statistiques et non
pas par des considérations immunologiques comme on a pu le constater à
l’audition BCG où l’immunologie fut totalement absente des débats. Ce travail est attribué aux épidémiologiste
qui sont médecins de formation. Ils pourraient bien sûr étudier et connaître
les principes et méthodes de l’analyse statistique de données. Le spectacle
auquel j’ai assisté à l’audition à ce sujet démontre que professeurs et experts
en santé publique n’y connaissent absolument rien et c’est peu dire !
Comme ils constituent le Comité technique des vaccinations et le Conseil
supérieur d’hygiène (devenu Haut conseil de santé publique) et que ces Conseils
et Comités ne peuvent avoir que la compétence de leurs membres, je vous laisse
conclure…Si vous ne me croyez pas, et ne me croyez surtout pas, allez
lire mes articles sur ce sujet et vérifiez mon analyse.
Tant que les sociologues et autres experts qui étudieront le phénomène psychologique et sociologique qui s’est produit autour de cette affaire du BCG n'oseront pas dire : "oui il y a bien eu des erreurs techniques majeures dans l'expertise BCG et des personnes extérieures au monde de l'épidémiologie et de la médecine en ont pris conscience", il ne leur sera pas possible d'aller plus avant dans leurs analyses et leurs conclusions en seront faussées. Ces erreurs étaient déjà manifestes dans l'expertise collective Inserm de novembre 2004 sur le BCG, 2 ans avant l'audition. La Sfsp s’est attaquée très vigoureusement aux conclusions de l'expertise collective Inserm sur les troubles de conduite de l’enfant en lançant de multiples communiqués et colloques et avec le fameux slogan « pas de zéro de conduite pour les enfants de moins de 3 ans ». Pourquoi une telle contestation sur l'expertise collective Inserm sur le BCG serait interdite ?